À l’attention de tous les gouvernements ayant des eaux territoriales et des ports dans la mer Méditerranée et le golfe du Mexique
RE : Obligations juridiques internationales des États concernant le transit de carburant militaire (carburéacteur) vers Israël à bord de l’Overseas Santorini et de l’Overseas Sun Coast
Nous écrivons en tant que groupe de praticiens du droit international, universitaires et analystes pour exprimer notre inquiétude quant au transit continu de carburéacteur militaire vers Israël à bord de l’Overseas Santorini et de l’Overseas Sun Coast, en violation des obligations juridiques internationales qui incombent aux États.
Overseas Santorini et Overseas Sun Coast
Du kérosène militaire, fourni par la compagnie pétrolière Valero pour le compte du gouvernement américain, est transporté de Corpus Christi, au Texas, vers le port d’Ashkelon, en Israël. Ce carburant comprend du kérosène et du JP-8 utilisés notamment par les avions de guerre F16 et F35 de l’armée de l’air israélienne. Ces cargaisons sont transportées par les pétroliers Overseas Santorini et Overseas Suncoast tous les deux mois. 1
Depuis des années, ces navires transitent par les eaux territoriales des États du golfe du Mexique et de la Méditerranée, accostant généralement au port d’Algésiras, en Espagne, et faisant également escale à Limassol, à Chypre, avant d’arriver à destination, à Ashkelon, en Israël. 2
Le 2 août 2024, l’Overseas Santorini traverse la Méditerranée en direction d’Israël et devrait livrer 300 000 barils de kérosène militaire à ce pays. 3 Au cours de ce voyage, le navire a d’abord cherché à accoster à Algésiras, en Espagne, et à Gibraltar, mais n’y est pas parvenu après avoir subi d’importantes pressions publiques, politiques et médiatiques visant à lui interdire d’accoster dans l’un ou l’autre de ces ports. Il a depuis désactivé son système de localisation AIS, mais l’imagerie satellite confirme qu’il se dirige vers l’est, en direction d’Israël. 4
L’Overseas Suncoast a récemment quitté Israël et se trouve actuellement dans la mer des Baléares, sur la côte est de l’Espagne, mais son prochain port d’escale n’est pas encore connu. 5
Obligations juridiques internationales
Pour les raisons exposées dans le présent document, nous estimons que le fait d’autoriser ces navires à livrer du carburant militaire à Israël à l’heure actuelle, soit en autorisant leur transit dans les eaux territoriales des États, soit en les approvisionnant dans des ports relevant de la juridiction des États, constituerait une violation des obligations juridiques internationales des États.
Dans sa décision sur les conséquences juridiques de l’occupation israélienne de la Palestine, la Cour internationale de justice (CIJ) a souligné le caractère structurel, systémique et grave des violations commises par Israël en Palestine occupée. En effet, la Cour a demandé aux États de s’abstenir de toute « transaction économique susceptible de consacrer sa présence illégale [d’Israël] dans le territoire« , 6 de « prendre des mesures pour empêcher les relations commerciales ou d’investissement qui contribuent au maintien de la situation illégale créée par Israël dans les territoires palestiniens occupés », 7 et « de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence illégale d’Israël dans les territoires palestiniens occupés » 8, parmi d’autres obligations. Cette décision fait écho à de nombreuses conclusions de l’avis de la CIJ sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans les territoires palestiniens occupés. 9
Le 30 juillet 2024, les rapporteurs spéciaux de l’ONU ont indiqué que l’avis de la CIJ « réaffirme les normes impératives interdisant l’annexion, les colonies, la ségrégation raciale et l’apartheid, et devrait être considéré comme déclaratoire par nature et contraignant pour Israël et tous les États soutenant l’occupation », et que « les États doivent immédiatement revoir tous leurs liens diplomatiques, politiques et économiques avec Israël, y compris les entreprises et la finance, les fonds de pension, le monde universitaire et les organisations caritatives ». 10
Cette décision doit être rapprochée des mesures provisoires prises en vertu de la Convention sur le génocide de 1948 dans l’affaire Afrique du Sud c. Israël devant la CIJ, qui engage l’obligation de l’État de prévenir le génocide. Ce devoir impose aux États l’obligation positive de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour protéger la population menacée. 11 En outre, cette décision met en garde les États contre une éventuelle complicité de génocide par le biais d’actes matériels de soutien à l’État auteur du génocide. Ces obligations sont étayées par des arguments détaillés avancés par des juristes, des activistes et des fonctionnaires des Nations unies. 12
Outre le devoir de prévenir les génocides, les États tiers ont l’obligation de ne pas prêter assistance à d’autres crimes internationaux. La demande de mandats d’arrêt du bureau du procureur de la Cour pénale internationale indique que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été et sont commis au moyen de bombardements aériens à Gaza. 13
En ce qui concerne spécifiquement le kérosène, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté en avril 2024, après un vote des États membres, une résolution appelant à un embargo sur les armes :
Se déclarant profondément préoccupé par le fait que la vente, le détournement et les transferts d’armes et de carburéacteur augmentent la capacité d’Israël, puissance occupante, à commettre de graves violations, notamment des attaques contre des civils et des infrastructures civiles, à faire fi du droit international et à compromettre gravement l’exercice des droits de l’homme »
Et a appelé les États à :
Cesser la vente, le transfert et le détournement d’armes, de munitions et d’autres équipements militaires vers Israël, la puissance occupante, afin de prévenir de nouvelles violations du droit humanitaire international et des violations et abus des droits de l’homme, et s’abstenir, conformément aux normes internationales, d’exporter, de vendre ou de transférer des biens et technologies de surveillance et des armes moins meurtrières, y compris des articles à double usage, lorsqu’ils estiment qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que ces biens, technologies ou armes pourraient être utilisés pour violer ou abuser des droits de l’homme » 14.
Le kérosène militaire livré par l’Overseas Santorini et l’Overseas Sun Coast est spécifiquement conçu pour être utilisé dans les avions de guerre. 15 Le ravitaillement de ces navires dans les ports, ou la facilitation du transit par tout État à travers ses eaux territoriales vers Israël, qui perpètre une occupation illégale et un génocide plausible, impliquerait l’État facilitateur dans ces graves illégalités, contreviendrait à l’obligation internationale de l’État de coopérer pour mettre fin aux violations graves du droit international et pour prévenir le génocide, et saperait l’obligation de non-reconnaissance de l’occupation illégale du territoire palestinien par Israël.
Notre recommandation
Conformément à ces obligations légales, nous recommandons aux États de refuser à ces navires l’autorisation de transiter dans les eaux territoriales des États ou de les approvisionner dans les ports relevant de la juridiction des États. Ne pas le faire pourrait équivaloir à une violation des obligations juridiques internationales et à une complicité dans les violations du droit international commises par Israël.
Signed,
Ahmad Abuznaid | Executive Director, US Campaign for Palestinian Rights |
Dr Amina Adanan | Assistant Professor, Lecturer in Law School of Law and Criminology, Maynooth University |
Wesam Ahmad | Head of Al-Haq Center for Applied International Law |
Wout Albers | Attorney, Partner & Founder, Global Justice Association, Netherlands, Colombia and Italy |
Eduardo Melero Alonso | Associate Professor, Administrative Law, Universidad Autónoma de Madrid |
Azril Mohd Amin | Lawyer, Chair of Centre for Human Rights Research & Advocacy (CENTHRA), Malaysia |
Huwaida Arraf | Human Rights Attorney, United States |
Dylan Asafo | Senior Lecturer, University of Auckland |
Dr Rhiannon Bandiera | Lecturer In Criminology and Co-Director, Research Centre in International Justice, School of Law and Criminology, Maynooth University |
Sõzarn Barday | Attorney, South Africa |
Phyllis Bennis | Director of New Internationalism Project at Institute for Policy Studies, Washington DC |
Prof. Gill H. Boehringer | Hon. Professor, Macquarie University School of Law |
Emeritus Prof. Bill Bowring | Birkbeck College, London |
Francis A. Boyle | Professor of International Law, University of Illinois |
Nadia Silhi Chahin | PhD(c), Edinburgh Law School |
Dr Tanzil Chowdhury | Associate Professor in Public Law and Director of the Centre for Law and Society in a Global Context, Queen Mary, University of London |
Dr Cian Ó Concubhair | Assistant Professor, Maynooth University |
Dr. Luigi Daniele | Senior Lecturer in International Law, Nottingham Law School |
Raj Daya | Executive Committee, South African Lawyers for Palestine |
Lamis J. Deek | Attorney, Director of Diplomatic and Legal Affairs for PAL Commission on War Crimes, Justice, Reparations and Return |
Prof. Loucia Dimitriou | School of Education and Social Sciences, Frederick University, Cyprus |
Noura Erakat | Professor, Rutgers University, New Brunswick |
Organisation | European Legal Support Centre |
Jodie Evans | Co-founder, CODEPINK |
Ola Fæhn | Advokat, Norway |
Leilani Farha | Human Rights Lawyer & Former UN Special Rapporteur on the right to housing |
Dr. Ken Fero | Assistant Professor, Coventry University |
Leandros Fischer | Assistant Professor, Aalborg University, Denmark |
Daan de Grefte | Legal Officer at the European Legal Support Center |
Prof. Jeroen Gunning | Professor of Middle East Politics and Conflict Studies, King’s College London |
Dr. Shahd Hammouri | Lecturer in International Law, University of Kent |
Dr. Ardi Imseis | Associate Professor of International Law, Queen’s University, Canada |
Adam Jad | Palestinian Human Rights Lawyer, Gaza |
Aonghus Kelly | International Lawyer |
Ayoub Khan | Barrister, Member of Parliament for Birmingham Perry Barr, United Kingdom |
Daniel Kovalik | PAL Law Commission on War Crimes, Justice, Reparations and Return |
Lydia de Leeuw | Researcher, SOMO, Netherlands (Centre for Research on Multinational Corporations) |
Gerry Liston | Senior Lawyer, Global Legal Action Network |
Prof. Michael Lynk | Associate Professor at the Faculty of Law, Western University, London, Ontario |
David L. Mandel | Human Rights Attorney, Sacramento, California, USA |
Craig Mokhiber | International Human Rights Lawyer, former UN human rights official |
Maimoona Mollah | All India Democratic Women’s Association, President of the Delhi Committee |
Gilda Morket | Human Rights Activist |
Dr Clíodhna Murphy | Associate Professor, Maynooth University |
Dr. Ahmad Farouk Musa | Director, Islamic Renaissance Front, Kuala Lumpur, Malaysia |
Ousman Noor | Barrister, Bar Council of England and Wales |
Declan Owens | Solicitor, Ecojustice Ireland |
Ziyaad Ebrahim Patel | International Human Rights Attorney, South Africa |
Dr. Nicola Perugini | Associate Professor, Political and International Relations, University of Edinburgh |
Dr. Marie Petersmann | Assistant Professorial Research Fellow, LSE Law School, London |
Dr. Katarina Pijetlovic | Professor of Law at Católica Global School of Law, Portugal |
Dr. Maria Rashid | Fellow, Department of Gender Studies, London School of Economics |
Dr. John Reynolds | Associate Professor of International Law, Maynooth University, Ireland |
Dr. Sheetal Soni | Senior Lecturer, University of KwaZulu-Natal, South Africa |
Dr Irene Sotiropoulou | Independent Lawyer |
Mohammad Tay | President of the Qana Observatory and head of the Arab Ummah Tribunal |
Dr. Mark B. Taylor | Author of ‘War Economies and International Law’ (Cambridge, 2021) |
Dr. Lisa Tilley | Senior Lecturer, SOAS, University of London |
Ann Wright | Retired US Army Colonel and former US diplomat |
Pablo Andrés Araya Zacarias | Lawyer, Master in Criminal Law, Member of PAL Law Commission for Latin América |
This letter remains open for co-signatures from international law practitioners, academics and analysts until Friday 9th August 2024.
To co-sign, please email info@palenergyembargo.com with your name and position and confirmation that you consent to your name being added to the ‘legal obligations on military fuel’ letter. Names of co-signatories will be listed in alphabetical order by surname. Thank you.
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- ‘Fuelling the Flames in Gaza’, SOMO, Netherlands, May 2024, ‘Israeli crude and fuel supply chains’, Oil Change International (provided by Data Desk), 8th March 2024
- Ibid.
- ‘Tanker carrying jet fuel for Israel must not dock in Gibraltar, say MPs’, The Guardian, 29th July 2024.
- For most recent AIS tracking data for the Overseas Santorini see Marine Traffic, Overseas Santorini, note: the tracking data’s latest update was at 17:22, 31st July 2024
- See Marine Traffic: Overseas Sun Coast
- Legal Consequences arising from the Policies and Practices of Israel in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, Advisory Opinion (19 July 2024), para.278.
- Ibid. para.278.
- Ibid. para. 279.
- International Court of Justice, Advisory Opinion on the Legal Consequences of the Construction of a Wall in the OPT , 9th July 2004
- ‘Experts Hail ICJ Declaration on Illegality of Israel’s Presence in the Occupied Palestinian Territory as Historic for Palestinians and International Law’, UN Office of the High Commissioner on Human Rights, 30th July 2024
- The ICJ clarified in the Bosnia v Serbia case that a State is responsible for complicity if “its organs were aware that genocide was about to be committed or was under way, and if the aid and assistance supplied, from the moment they became so aware onwards, to the perpetrators of the criminal acts… enabled or facilitated the commission of the acts.’’ Irene Pietropaoli ‘Obligations of Third States and Corporations to Prevent and Punish Genocide in Gaza’ SOMO, 5 June 2025
- ‘Arms exports to Israel must stop immediately: UN experts’,UN Office of the High Commissioner on Human Rights, 25 February 2024. ‘States and companies must end arms transfers to Israel immediately or risk responsibility for human rights violations: UN experts’, UN Office of the High Commissioner of Human Rights, 20 June 2024. Review: Al Haq ‘Ending Complicity in International Crimes: a Two-Way Arms Embargo on Israel’, 8th November 2023
- Statement of ICC Prosecutor Karim A.A. Khan KC: Applications for arrest warrants in the situation in the State of Palestine, International Criminal Court, 20th May 2024
- Human Rights Council ‘Human rights situation in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, and the obligation to ensure accountability and justice’ (16 April 2024) UN Doc. A/HRC/RES/55/28 at para.14.
- Its distinct military use may render it a component of weapons for the purpose of legal assessment. Andrew Clapham, Stuart Casey-Maslen, Gilles Giacca, Sarah Parker ‘The Arms Trade Treaty: A Commentary’ (OUP, 2016) at 4.09 and 4.16.