En tant que reporters, journalistes et éditeurs, l’intégrité, l’honnêteté et l’exactitude de vos reportages sont essentielles pour façonner la compréhension que les gens se font de notre réalité. L’exactitude et les reportages éthiques ne sont pas synonymes d’« objectivité » ou de « neutralité » car sont tous deux préjudiciables dans les conflits asymétriques et d’autres contextes d’injustice et de dynamiques de pouvoir nocives.
Par conséquent, quand il s’agit de rapporter des faits concernant la Palestine, il est nécessaire de :
1.Contextualiser votre couverture médiatique
La violence ne se produit jamais isolée. Israël est un régime colonial qui pratique l’apartheid. Les évènements spécifiques ne peuvent être dissociés des pratiques et politiques quotidiennes d’Israël qui perpètuent cet asservissement et cette domination sur le peuple palestinien, et ce depuis plus de soixante-dix ans. Lorsque vous rapportez des faits, assurez-vous de les situer dans ce contexte et cadre essentiels.
2. Ne pas employer la voix passive
L’utilisation de la voix passive pour décrire des faits sans indiquer clairement qui en est l’agent et l’auteur blanchit continuellement les agressions d’Israël et sa responsabilité et perpétue son impunité. Cela mène à une représentation trompeuse de la réalité.
3.Ne pas déshumaniser la vie des Palestiniens
Les forces israéliennes ont tué plus de 2,800 palestiniens depuis janvier 2023. Pourtant, seule une infime minorité de victimes sont nommées. Leurs histoires ne sont pas relayées et leurs familles et proches ne sont pas entendus. Cela engendre un cycle constant dans lequel la vie des Palestiniens est réduite à de simples chiffres. Leur mort, torture, emprisonnement, blessures et traumatismes sont ainsi banalisés et ignorés.
4. Éviter d’utiliser une terminologie trompeuses et inexacte :
L’utilisation de termes comme « affrontements », « émeutes » ou « combats » entre « deux camps » alimente un faux récit selon lequel il s’agit d’une guerre ou d’un conflit entre deux parties égales. Cela efface le contexte d’extrême asymétrie et crée une fausse équivalence de forces, très éloignée de la réalité.
5. Arrêter la présomption immédiate de culpabilité des Palestiniens
Des décennies de délégitimation médiatique et de criminalisation des voix palestiniennes ont engendré un cercle vicieux dans lequel les médias de masse traitent les Palestiniens avec méfiance et présupposent leur mauvaise foi et/ou culpabilité. Les Palestiniens sont presque immédiatement traités comme des « militants », des « antisémites » ou des « terroristes » potentiels. Un individu jetant une pierre est mis sur le même plan qu’un soldat lourdement armé. Alors que les Palestiniens vivent sous le joug d’une violence inouïe, ils sont constamment stigmatisés et se retrouvent contraints à justifier de leur humanité ainsi que de la légitimité de leur quête de droits fondamentaux.
6. Ne pas prendre les déclarations des responsables israéliens pour argent comptant
Alors que les voix palestiniennes sont mises en doute, le régime d’apartheid israélien est perçu comme fiable et crédible. Ceci s’inscrit dans le racisme flagrant qui façonne l’ordre mondial, où les systèmes suprématistes imposent leurs récits dominants. Les autorités israéliennes ont une longue histoire de dissimulation de leurs crimes de guerre et de leurs crimes contre l’humanité en utilisant la mauvaise foi, les mensonges et la désinformation pour masquer leurs crimes et pratiques. Ne mettez jamais sur un pied d’égalité la voix de la victime avec celle de son oppresseur.
7. Focaliser sur les voix palestiniennes et leurs récits
Tout reportage ou entretien sur la Palestine devrait mettre en avant les voix palestiniennes, car ce sont elles qui vivent cette réalité et sont les mieux placés pour la décrire. Les Palestiniens ne devraient pas être invités occasionnellement pour fournir des « témoignages » de leurs perceptions ou sentiments. Il est essentiel d’accorder une place centrale aux experts palestiniens. Les voix palestiniennes ne devraient en aucun cas être validées par une voix israélienne ou demandées d’être opposées à son oppresseur.
8. Ne pas mettre l’accent sur les factions comme source de violence et ne pas focaliser l’attention sur « la violence palestinienne »
Insister sur “ la violence palestinienne” en réduisant les Palestiniens a des simples affiliations politiques renforce la présomption de culpabilité et minimise, voire efface, la violence structurelle du régime israélien d’occupation militaire et d’apartheid, tout en renversant la réalité oppressante et opprimée. De telles approches renforcent le récit erroné selon lequel les attaques à Gaza, Naplouse ou Jénine sont des confrontations bilatérales entre Israël et des factions armées. En plus, il faut éviter d’utiliser des termes trompeurs tels que « Gaza contrôlé par le Hamas ». Bien que le Hamas soit le parti politique au pouvoir à Gaza, Israël contrôle toujours les frontières de Gaza ainsi que la circulation des personnes et biens à travers un blocus terrestre, aérien et maritime continu tandis que l’Egypte contrôle le passage de Rafah.
9. Les Palestiniens forment un seul peuple.
Présenter et décrire la réalité des Palestiniens et des évènements se déroulant dans différentes villes comme Gaza, Jérusalem, Lydd, Ramallah, les camps de réfugiés palestiniens comme des phénomènes séparés ou disjoints, renforce la stratégie israélienne de fragmentation des Palestiniens et l’effacement de leur identité et de leur appartenance collective.
10. Ne vous laissez pas intimider ou auto censurer par les organismes pro-apartheid.
Lorsque la couverture de la Palestine est effectuée de manière précise, éthique et qu’elle est en phase avec la réalité globale de l’occupation, de l’oppression des Palestiniens par Israël, les défenseurs de l’apartheid seront prêts à attaquer et à discréditer le reportage.
Dans ce cas de figure les journalistes doivent résister et ne pas se plier à ces intimidations puisqu’elles constituent des outils intentionnels employés pour réduire au silence et discréditer une couverture médiatique réaliste.
Les Palestiniens continueront à se battre pour se réapproprier leur récit et présenter la réalité au monde entier. Les médias de masse ont toujours l’opportunité, aujourd’hui plus que jamais, de combler le fossé et de garantir que la Palestine n’est plus une exception pour avoir le droit à une couverture médiatique précise, juste et éthique.